LE TOUR DU MONDE.
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X
Le havre d' Auckland. — Dessin de Lancelot d'apres M. F. de Bochstetter.
VOYAGE A LA NOUVELLE-ZELANjDE,
PAR M. FERDINAND DE HOGHSTETTER.
11858-1860 — TRADUCTION INEDITE.
DESSINS D APB.ES DES DOCUMENTS ORIOINAUX.
I
La Nouvelle-Z&ande. — La Novara et le havre d' Auckland '.
Lors du passage dela fregate autrichienne laNovara 2
a. la Nouvelle-Zelande, ou elle relacha vers la fin de l'an-
nee 1858 pendant le cours de son voyage autour du
monde, un membre de la commission scientifique que
portait ce navire, M. Ferdinand de Hochstetter f'ut
charge par le gouvernement colonial d'une mission
qui lui permit de sojourner neuf mois dans les lies
1 . Situe entre le trente-quatrieme et le quarante-huitieme paral-
lel sud, entre le cent soixante-quatrieme et le cent soixante-sei-
zieme de longitude orientale, l'archipel de la Nouvelle-Zelande
s'eleve, dans l'ocean Pacifique, aux antipodes memes d'un arc de
cercle qui, surgissant du sein de l'Atlantique a une cenlaine de
lieues droit a 1'ouest de Brest, irait aboutir au Maroc dans les en-
virons de Fez. II consiste en deux lies principals, separtes par le
d<5troit de Cook; au nord Ika-Na-Mawi ou Vile du Poisson, et au
XJ. — 279' LIV.
neo-zelandaises. Avec ^automation du contre-ami-
ral de Wiillerstorf, qui commandait 1'exp^dition, il
laissa la fregate poursuivre sa route vers l'Europe, et
tout en s'acquittant des recherches zoologiques dont il
etait charge, le savant professeur de l'lnstitut de Vienne
se livra a une etude approfondie de la Nouvelle-Zelande
sous le rapport geographique, physique, botanique, his-
sud Tawai-Ponamou ou la terre du Jade-Vert, noms indigenes
consacres par les traditions mythiquesdes peuples polynesiens. Au
sud de la grande lie meridionale, l'ile Stewart, qui n'en est
qu'uue annexe, compte ceper.dant encore pres de cinq cents kilo-
metres carres de superficie, et recoit en plein sur ses apres pro-
montoires les \ents et les Hots du pole antarctique. F. de L.
2. Voyez, sur le voyage de la Ncvara autour du monde, le t. I
du Tour du Monde, p. 34 et 66.
18
274
LE TOUR DU MONDF.
torique, politique, doscriptif et memelitteraire. II a pu-
blie recemment le resultat de ses travaux dans un
magnifique volume edite a Stuttgart. C'est de cet ou-
trage que nous avons tire la plus grande partie de la
relation gu'on va lire ,
« ....Apres un sejour de plusieurs semaines sur les'
c6tes de l'Australie, la fregate la Novara quitta le port
de Sydney le 7 decembre 1858, et se dirigea vers la
Nouvelle-Zelande. Le 20 du meme mois, nous nous
trouvions devant l'entree du golfe Hauraki, dont une des
baies, situees au sud-ouest, forme le port d'Auokland.
Les iles de la grande et de la petite Barriere, qui dans
la langue des indigenes se nomment Ota et Houturu,
se dressaient devant nous avec leurs pics d'environ
deux mille pieds. La journee etait magnifique, et nous
nous avancames lentement lelongdela cote orientalede
la grande ile.
o Longue d'environ vingt-cinq milles anglais, cette ile
se compose d'une chaine de montagnes qui forment des
cotes escarpdes, aux sommets tanlot arrondis, tantot en
pics aigus. Le point le plus eleve, qui se trouve dans
le milieu de l'tle, et qui, du premier gouverneur de
la Nouvelle-Zelande, a ete appele Mont-Hobson, a,
d' apres les indications des cartes, une elevation de
deux mille trois cent trente pieds anglais au-dessus du
niveau de la mer. Des roches dentelees d'une hauteur
remarquable, appelees les Aiguilles, forment l'extremite
septentrionale de la cliaine qui se termine au sud par le
rocher arrondi du cap Barriere. Si la cote occidentale
de File possede de nombreuses baies, profondement de-
couples , pourvues d'excellents ancrages , sur les rives
desquels, indigenes et Europeans se sont etablis, la cote
orientale n'offre que des rocs nus et inhabites, oil Ton ne
trouve qu'une seule grande baie protegee par l'ile Aride,
rocher d'apparence inaccessible, completement digne
de son nom qu'il porte depuis le temps du capitaine
Cook. Sur la c6te septentrionale de la Grande Barriere,
il y a des mines de cuivre assez productives, et les forets
de l'ile doivent renfermer beaucoup de betail sauvage.
a En avancant nous nous trouvames au milieu d'un
labyrinthe d'iles et de presqu'iles dont le sol, parseme de
collines, etait bas et onduleux, sans forets, avec des c6tes
escarpees qui presentaient des lits de marne et de gra-
nit regulierement disposes, et avec de petites baies sa-
blonneuses sur lesquelles s'elevaient ca et la, quelques
huttes de bois. Devant nous, a l'endroit oil nous aper-
cevions les groupes epars de maisons qui forment Auck-
land, on distinguait un grand nombre de petites monta-
gnes a. c6nes tronques, dont, au premier coup d'oeil, la
forme trahissait la nature volcanique. Parmi elles, do-
minant toutes les autres, pareil au conducteur d'un trou-
peau de monstres marins, se dresse fierement au milieu
des vagues le mont Rangitoto, dont la hauteur atteint
neuf cents pieds, et qui est comme la sentinelle avancee
d'Auckland.
« Avec ses noires coulees de laves, la forme singuliere
de son sommet , cette ile volcanique m'offrait un spec-
tacle assez interessant; mais, je l'avoue franchement, le
premier aspect de la contree d'Auckland ne repondit
millement a. l'idee que je m'etais faite de la Nouvelle-
Zelande.
« Est-ce la Auckland, me disais-je, la capitale tant
vantee de la Grande-Bretagne de la mer du Sud ? Oil est la
Tamisc nco-zekndaise? Oil sont les Geysers et les sour-
ces de vapeur briilante? Oil sont les cones volcaniques
dont j'ai lu la description, le Tongariro toujours fu-
mant, le Ruapahu convert de glaces et de neiges eter-
nelles, le Taranaki qui monte dans les nuages ; oil sont
cnfin les Alpes de la Nouvelle-Zelande? Le tableau cree
par mon imagination etait tout different de celui que
j'avais sous les yeux.
<t Les puissantes montagnes coniques me paraissaient
reellement reduites aux proportions de petits cones sans
importance de cinq ou six cents pieds. Je savais que cps
volcans monstrueux et les montagnes de neige de l'ile
meridionale ne sont pas des fables, mais que leur dis-
tance de cette cote les place hors de la portee de tout
ceil humain, et cependant je les cherchais du regard,
et n'en decouvrant aucune trace, j'eprouvais une vive
deception.
« Apres avoir faitpubliquement cet aveu, je puis don-
ner a. mes amis d'Auckland, l'assurance qu'actuellement
la Nouvelle-Zelande reste gravee en traits brillants dans
mon souvenir; tout ce que j'avais attendu et imagine
d'abord a ete depasse de beaucoup , et s'il m' etait donne
une seconde fois dans ma vie de jouir de ce spectacle et
de saluer encore une fois le Rangitoto, mon coeur tres-
saillirait d'une joie profonde.
« Le depart de la Novara pour Tahiti fut fixe au 8 Jan-
vier. Je me rendis de tres-bonne heure a bord ; apres
beaucoup de jours orageux, c'etait la premiere matinee
paisible et sereine ; la fregate avait appareille et n' atten-
dant que la brise et le retour du jusant. Vers huit heu-
res, l'ordre de lever l'ancre fut donne ; c'etait pour moi
l'heure de la separation. II m'etait bien penible d'aban-
donner un navire qui, depuis deux ans, etait presque
devenu ma patrie, et dont le sort avait ete lie si etroite-
ment au mien. La voix me manqua quand je voulus dire
adieu au digne commodore et au brave commandant,
quand je pressai la main de mes compagnons de voyage
avec lesquels j'avais partage la peine et la joie, et qui
n'etaient pas moins emus que moi-meme. Mais la musi-
que se fit entendre, l'ancre remonta, les voiles se gonfle-
rent; je regagnai mon canot, et me dirigeai vers laterre.
« Avant que j'eusse atteint le rivage, la Novara avait
deploye toutes ses voiles et, poussee par une legere
brise, glissait lentement sur le miroir paisible des eaux.
Je la regardai encore longtemps, bien longtemps, et lui
souhaitai un bon voyage et un heureux retour dans la
patrie. Le corps du navire avait deja. disparu derriere la
c6te septentrionale, et jen'apercevais plus que les mats
qui le dominaient. Pendant un moment, il reparut tout
entier au-dessus de la partie basse des terres. Du ri-
vage, plus d'un souhait fut adresse aux voyageurs par
les amis qu'ils ne pouvaient plus apercevoir ; mais le
vent devint de plus en plus vif, et la Novara disparut a
17a
tasi jar Erlaid. JUJoguay -liaum. 12
276
LE TOUR DU MONDE.
l'horizon. G'est alors que je sentis pleinement le chan-
gement qui s'etait fait dans ma situation. La Novara
etait une parcelle de la patrie : dans les pays lointains
et etrangers, elle remplacait mon foyer. Jusqu' alors, ma
vie de voyage s'etait ^coulee au milieu d'amis, de visa-
ges connus; rien n'etait change dans nos habitudes, la
langue que nous parlions dtait la langue maternelle; la
scene seule variait sans cesse autour de nous ; parmi
des hommes d'une autre couleur, sur les c&tes les plus
lointaines, je ne me sentais pas eloigne de la patrie,
tant que la Novara demeurait dans le port. Maintenant
il me sembla que je commengais a voyager en pays
etranger, parmi des hommes etrangers dans le veritable
sens du mot. J'etais seul, ne pouvant plus compter que
sur moi-meme.
II
La cite d'Auckland, sa banlieue. — Ce que ses habitants
appellent la campagne.
Apres le depart de la Novara, j'allai occuper dans ce
qu'on appelle l'Hohl de Clermont (Prince's street)
une riante et spacieuse habitation, chez un hote par-
faitement aimable et bon, M. "Winchy. J'avais pour
cabinet de travail une vaste piece, et, des fenetres, je
jouissais d'une vue magnifique sur une grande'partie
de la ville et du port, qui s'etendaient au-dessous de
Vue de la ville d'Auckland. — D'apres M. F. de Hochstetter.
moi, le long de la cote occidentale jusqu'a la chaine
boisee de Titirangi.
Reste seul, sans mes collegues de la Novara, dont la
specialite avait ete la geologie et la botanique, je
crus devoir profiter des occasions qui s'offriraient pen-
dant mes voyages pour aj outer a leurs collections com-
mencees les produits de la Nouvelle-Zelande, et je pris
aussitot les dispositions convenables pour arriver a, ce
resultat. Je fis inserer en meme temps dans les feuilles
publiques un avis par lequel je sollicitais l'envoi d'ob-
jets d'histoire naturelle de toutes sortes. En cela, je me
proposals un double but, j'esperais d'abord obtenir par
ce moyen des indications sur la nature des contrees que
la brievete de mon sejour ne me permettrait pas de visi-
ter; puis, j'avais l'intention de poser de cette maniere la
base d'un museum pour la ville d'Auckland. Je fus si
bien seconde dans mon projet par la complaisance des
colons, et mes collections finirent par prendre un tel de-
veloppement que mon habitation devint insuffisante a les
contenir. Avec le plus gracieux empressement, le gou-
verneur mit a ma disposition un petit batiment voisin
de ma demeure qui devint des lors mon museum, ou,
comme je le disais en plaisantaut, mon etablissement
royal zoologique. A l'epoque ou je partis pour revenir
en Europe, il etait ouvert en tout temps au public, et j'y
recevais presque continuellement un grand nombre
d'aimables visiteurs curieux de connaitre mes decou-
vertes les plus interessantes.
VOYAGE A LA NOUVELLE-ZELANDE.
277
L'lle septentrionale de la Nouvelle-Zi : lande se com-
pose de deux parties de dimensions fort in^gales et qui
sont unies entre elles par un isthme tres-etroit, situe
sur le 37° de latitude meridionale. Du c6te" oriental de
l'lle, la mer penetre par le golfe Hauraki dans des
baies profondement creusees, et l'une de ces nom-
breuses echancrures s'avance au nord vers la riviere
Waitemata. L'isthme n'a guere en moyenne que cinq a
six milles anglais de large et il se retrecit en deux en-
droits oil des criques profondes fornixes par le Waite-
mata dans la direction du sud, ne lui laissent plus
qu'un mille anglais de largeur. Ge sont ces deux points
qu'a, une epoque reculee les indigenes utilisaient deja
pour faire franchir l'isthme a leurs canots en les trans-
portant d'une rive a. l'autre, et c'est la. aussi que les
colons ont concu l'idee de creuser un canal pour mettre
encommunicationles deux ports
opposes. Si, d'un c6te, la riviere
Waitemata forme sur la cote
orientale le meilleur port du
littoral, de l'autre, le bassin du
Manukau sur la c6te occidentale
presente incontestablement un
excellent port, le seul ou les
grands navires puissent abor- J
der sans danger. Le capitaine |
Hobson, dont le coup d'ceil est 5
si penetrant, a droit sans aucun ^
doute a. une grande reconnais-
sance pour avoir, en 1840, si-
gnale au gouvernement anglais
ce point qui relie entre elles les
deux moities de l'lle septentrio-
nale comme le lieu le plus fa-
cane volcanique pres d'Auckland.
' *
<">"*. •
■^k—
vorable pour le siege du gouvernement et la capitale de
la Nouvelle-Zelande.
Outre les avantages d'une communication facile et
sure par mer dans loutes les directions, Auckland se
relie encore a, un grand nombre de points de l'lle sep-
tentrionale par des fleuves fort importants, parmi les-
quels nous citerons dans le nord le Wairoa, qui tra-
verse de magnifiques forets de Kauris, et le Waiho, ou
Tamise neo-zelandaise, qui s'etend au loin dans la di-
rection du sud-est.
Tels sont les avantages naturels, d'une valeur inap-
preciable, dont jouit la capitale de la Nouvelle-Zelande,
a laquelle sa situation a valu le nom de Corinthe du
sud, et qui, dans sa prosperite rapide, allonge chaque
jour ses rangees de maisons. En 1860, cette ville
comptait environ 10 000 habitants, et le nombre de
ceux qui sont dissemines dans
le district est a peu pres egal.
On reconnait l'extreme jeunesse
de la ville au grand nombre de
ses constructions en bois, mais
d'annee en annee s'elevent de
grands batiments en basaltes
poreux, extraits des c&nes vol-
caniques environnants, et de
jolies maisons en brique qui at-
tested le progres du gout archi-
tectural. La circonference de la
ville est deja tres-vaste ; en com-
prenant le faubourg Parnell, on
peut compter un mille et demi
de diametre de Test a l'ouest,
et du nord au sud, un mille.
La colline comprise entre la
sA-tK
a C6ne de tuf. — 6 C6ne de lave. — cc Cendres et scories (voy. p. 282).
Mechanic's Bay a Test, et la Commercial Bay a, l'ouest,
et qui descend a pic vers le port, du c6te de la pointe
Britomart, forme le centre de la ville. Sur cette colline
centrale, et tout pres du port, se trouve le fort Brito-
mart, puis l'eglise metropolitaine de Saint-Paul, les
rangees de maisons de Prince's street, la maison du
gouverneur, la caserne, et enfin le moulin a vent. A
l'orient, autour de Mechanic's Bay s'etendent les quar-
ters habites par les autorite"s civiles et militaires,
les ecclesiastiques et les missionnaires; a l'ouest de
la Commercial Bay se trouve la ville marchande. La
situation d'Auckland, avec ses collines s'avancant dans
la mer, et les anses comprises entre elles, fait penser
a Sydney etaux profondes decoupures de sa vaste baie.
Comme le port d'Auckland a tres-peu de profondeur
du c6te de la ville, on a du construire, sur les points
de debarquement, des jetees ou piers s'avancant assez
loin dans la mer : le Commercial pier, long entre autres
d'un quart de mille, est veritablement l'un des ouvra-
ges les plus remarquables des colonies oceaniennes, et
son utilite est incalculable pour le commerce maritime
d'Auckland. Sur la meme ligne que cette jetee se
trouve Queen's street, le centre des affaires de la jeune
capitale. Sous le rapport des relations, pour quiconque
n'est pas habitue a la vie des grandes villes la so-
ci^te d'Auckland laisse peu a. desirer. Auckland est
deja pourvu d'une foule d'etablissements par lesquels
on peut juger du developpement auquel elle est appe-
lee. Un jardin botanique et un museum d'histoire natu-
relle existent deja, et tout recemment, a. cote d'un grand
nombre d' associations et d'autres etablissements cr^es
dans un but d'utilite generale, a ete fondee une so-
ciete des sciences, la New-Zealand royal society. La
ville possede actuellement douze eglises ou lieux con-
sacres a, la priere, dont la plupart appartiennent au
culte reforme, dix ecoles, une chambre de commerce,
278
LE TOUR DU MONDE.
trois bnques, six feuilles publiques, une societe d'ao-
climatation, une societe d' agriculture, plusieurs h6pi-
taux et etablissements de bienfaisance.
D' Auckland, deux voies principales se dirigent l'une
vers le nord, et 1' autre vers le sud : la Great south road,
deja. praticable sur une longueur de trente milles jus-
qu'a Mangatawhiri sur le Waikato : et la Great north
road, qui doit conduire parterre jusqu'a la baie des ties.
Une troisieme route macadamisee se dirige a travers
1'isthme, a, la petite ville d'Onclmnga situee a. une dis-
tance de six milles sur les Lords du port Manukau.
Onchunga etait dans 1'origine une colonie d'officiers
et de fonctionnaires retraites, qui recevaient du gouver-
nement une petite habitation et une acre de terrain.
EUe s'est deja. elevee au rang de ville ; servant de prin-
cipal place de commerce aux indigenes, elle gagne de
plus en plus en importance, et grace a son heureux
site ainsi qu'a. la beaute de ses environs, elle est deve-
nue le sejour favori d'un grand nomLre de negociants
qui ont a Auckland le siege de leurs affaires, et demeu-
rent a. Onchunga ou dans le voisinage. Le long de la
route, entre les deux villes, on apercoit un grand nom-
Lre de fermes et de metairies. Le sol n'appartient pas
cependant aux fermiers seuls, il y a aussi des fonction-
naires, des marchands, des officiers qui placent leurs
economies en achats de terrain. De jolies maisons de
campagne, avec de charmants jardins, sont repandues
sur 1'isthme, tandis qu'aux carrefours des routes se
trouvent des localites telles que New-Market, Mount
Sant-John village, Epsom, Panmure, et plus loin,
Otahulu et Howik. Aussi ne faut-il pas s'etonner qu'avec
le temps les terrains soient devenus fort chers a Auc-
kland.
Nous comprenons la joie qu'eprouve l'hahitant de
nos villes peuplees a l'exces quand, fatigue d'une fumee,
d'une poussiere et d'un tumulte eternels, il se voit en
pleine campagne, sous le Leau ciel de Dieu. Lorsqu'il
a pu deroLer aux affaires quelques jours, sa poitrine,
longtemps comprimee dans l'etroite etude, respire alors
a pleins poumons, et il parcourt la campagne seul,
ou en famille, avec d'autant plus de Lonheur que
bientot l'hiver revient avec son manteau de glace et de
neige, et le retient prisonnier pendant de longs mois.
Mais a. Auckland, ou Ton peut dire que la ville elle-
meme est dans la campagne , ou la douceur du climat,
sauf quelques jours de pluie , ne prive jamais l'heu-
reux hahitant de jouir d'un Leau jardin attenant a. sa
maison, et oil, liLre des entraves de nos hautes et tris-
tes murailles, l'air pur et plein de lumiere penetre dans
chaque rue, quand on entend parler d'un gout passionne
pour la vie de campagne, il est difficile de ne pas sou-
rire.
Depuis longtemps je me proposais, avec Julius Haast,
un compatriote fixe dans le pays ' , de visiter sur la
1. Un singulier jeu de la destinee 1'avait amene sur les c6tes de
la Nouvelle-Zelande avec un navire d'emigrants, le jour meme
precisement ou arrivait la Novara. II voulait etudier le pays et ses
habitants principalement dans le but de savoira quel point la Nou-
cote nord du port de Waitemata, ou, comme on dit,
le North-Shore, un cone volcanique, ainsi qu'un lac
remarquahle situe dans un ancien cratere, et dont on
nous avait beaucoup parle. Mais un de nos amis qui
desirait nous accompagner, nous pria de retarder cette
excursion. Comme c' etait un cicerone distingue et un
agreable compagnon , nous attendimes deux jours de
plus. Nous n'en fumes pas moins etonnes quand il
nous apprit que sa femme et son fils nous accompa-
gneraient pour jouir avec nous du plaisir de la campa-
gne. Dans ce but,.il prit avec lui deux tentes pour
camper en plein air et mieux savourer le bonheur d'un
sejour au milieu des champs. Nous trouvames plaisant
d'entendre parler ainsi un homme, dont nous avions
souvent admire l'habitation comme l'ideal d'une maison
de campagne.
Que Ton se figure, sur l'une des nomLreuses petites
Laies qui decoupent la cote pres d' Auckland, une jolie
residence tapissee de fleurs de la passion , de chevre-
feuille et de Lignonias. En avant de la maison , une
verandah couverte de magnifiques fuchsias, dont les
ravissantes clochettes etalent leur pourpre sur le toit
et les murailles ; tout autour un grand jardin, a l'ex-
tremite duquel se joue la mer d'un Lieu profond. Des
Lateaux et des voiles de toutes sortes animent la surface
des eaux, dont une partie appartient au port de Waite-
mata, si riche en Laies pittoresques. De ce c6te on aper-
coit la cote nord et ses petits cones volcaniques que do-
mine le cdne regulier du Rangitoto, avec ses poinles
percant l'azur du ciel ; c'est, en un mot , un paysage
d'un tel attrait, que jamais nous ne pouvions nous lasser
de l'admirer. Voila. le cadre de la demeure poetique de
notre ami, et le Leau jardin qui en depend est le type le
plus parfait des jardins de la Nouvelle-Zelande; c'est
un coin de terre sur lequel on doit se sentir heureux de
vivre. La propriete est enclose de haies hautes de six a.
huit pieds, formees de roses de tous les mois , de fu-
chsias, de geraniums dont les feuilles et les fleurs for-
ment un riche tissu aux couleurs variees. Le climat hu-
mide de la Nouvelle-Zelande conserve a. cette plantureuse
vegetation, meme au cceur de Yite, toute sa fraicheur.
Et dans le jardin, quelle diversite d'arbres, d'arbustes et
de plantes ! Toutes les productions de la zone tempered
reussissent ici , et pres d'elles on voit une foule de ve-
getaux dont l'aspect rappelle des contr^es qu'echauffe un
soleil plus ardent. Le chene allemand aux branches
noueuses s'eleve a. cote de 1' elegant pin de Norfolk
(araucaria) ; le gommier bleu d'Australie (eucalyptus),
a. c6te du saule pleureur et de l'acacia. Au milieu de
groupes d'orangers et de citronniers, on distingue le
velle-Zelande serait propre a. une immigration allemande. Nous ne
tardames pas a nous rencontrer et a, nous lier d'une etroite amitifi,
II embrassa mes projets et mes espSrances avec une ardeur juve-
nile. Son attachement a toute epreuve et sa bonne humeur inalte-
rable ne me manquerent jamais, etson concours ne cessa de m'etre
des plus utiles jusqu'au moment ou je partis de Nelson. II est reste
dans le pays, et a la suite de ses explorations entreprises avec une
perseverance admirable dans les montagnes du sud , il a ete nommfi
geologue du gouvernement dans la province de Canterbury.
VOYAGE A LA NOUVELLE-ZELANDE.
279
bananier de l'lnde, le palmier-daltier de l'Afrique du
Nord, le bois-trompette avec ses grandes fleurs, le gre-
nadier, le myrte et le liguier. Des jasmins, des bigno-
nias et des roses , des heliotropes, des coronilles, des
camelias couvrent les plates-bandes d'un gracieux
manteau de lleurs et de verdure, tandis que, sur le vert
gazon, l'agave de l'Amerique du sud etend ses orgueil-
leuses fleurs au milieu d'un vigoureux feuillage. On
s'egare avec delices parmi ces merveilles de couleurs,
d' ombres et de parfums. Mais, pour notre ami comme
pour tous ses concitoyens, tout cela n'etait pas la cam-
pagne, et, montant dans un canot conduit par deux
Maoris, nous nous rendimes a. la cote nord, qui est a,
une heure de distance.
Nous debarquames sur une rive basse, parsemee de
coquillages, et les Maoris eurent bient6t dresse les
deux tentes sous lesquelles nous nous etablimes comme
chez nous. La plus grande , destinee a, notre h6te et
a sa famille, se'rvait en meme temps de salle a, manger
commune ; la seconde nous etait reservee pour y passer
la nuit. Les tentes etaient si pres du rivage, qu'au mo-
ment du flux les vagues arrivaient presque jusqu'a elles.
G' etait une journee sereine , dont un vent du sud-ouest
adoucissait agreablement la chaleur.
La localite sur laquelle nous nous trouvions, promet
sans doute d'etre un lieu de plaisance pour les habi-
tants d' Auckland, mais jusqu'a present elle n'a guere
l'aspect d'une residence d'ete fashionable. Gependant,
comme je l'appris, le gouverneur lui-merne ne de-
daigne pas de passer ici chaque annee, avec sa fa-
mille, quelques semaines pendant le cceur de fete, et,
comme nous, il campe sous une tente. En dehors des
petites huttes de bois de quelques colons et de la
maison du pilote, il n'y avait aucun abri sur le
North-Shore. Mais aux yeux de beaucoup d'habi-
tants d' Auckland, c'est une diversion agreable que
d'echanger , pendant un court espace de temps , le con-
futable d'une maison pour la vie simple et rude de la
tente.
En suivant la cote, nous arrivames a, un echafaudage
long d' environ trente pieds. Nos nerfs olfactifs nous en
firent connaitre, a, une distance considerable, la desti-
nation. Une longue file de requins et de poissons de di-
verses sortes etait suspendue a. cette construction pour
sdcher, a. l'aide du vent qui les agitait dans tous les
sens, promettant ainsi pour l'hiver, aux indigenes, des
mets delicats et d'un « haut gout. » Des pores et des
chiens s'agitaient a. l'entour, et a. peu de distance se
trouvaient quelques huttes maories.
Les vieillards, assis devant la porte, nous adresserent
leur amical Tenakoe (te voila), tandis que, demi-nus,
les enfants aux yeux noirs regardaient avec eton-
nement et ne paraissaient pas comprendre ce que vou-
laient ces deux hommes, un marteau a. la main. Les
cultures voisines des huttes se composaient de pommes
de terre, de choux et autres legumes. Entretenues avec
assez de soin, elles etaient entourees d'un mur de
quatre pieds forme de grands blocs de lave superposes,
et sur lequel de jolies plantes grimpantes entrelacaient
leur epais et frais feuillage.
Apres avoir examine le cratere de Takapuna, qui
etait le but de notre excursion, nous vimes, en retour-
nant a, nos tentes, un feu clair qui brulait derriere une
i hutte construite en blocs de lave. Une bouilloire a. the
etait suspendue au-dessus des flammes, et nos maoris
etaient occupes a ramasser des huitres qui se trou-
vaient en abondance sur les rocs du rivage. Dans la
tente, en menagere attentive, la femme de notre ami
avait prepare un excellent diner auquel nous apportions
le meilleur appetit. G'est en vain cependant que je
m'attendais a. y trouver aussi des huitres ; comme j'ai
un faible tout particulier pour ces mollusques, je
me dirigeai vers les indigenes pour voir de quoi il
s'agissait. Je les trouvai frappant avec une pierre sur
les huitres qu'ils avaient fait griller et dont ils sa-
vouraient ensuite le contenu. Trois grandes pierres,
chargees des plus belles huitres, etaient encore sur
les charbons ; les indigenes, me les indiquant du doigt,
me dirent : Kapai (tres-bon), et ils les pousserent de-
vant moi quand les coquillages eurent subi le degre de
cuisson convenable. Naturellement, je ne me fis pas
beaucoup prier; les huitres ainsi roties sur des char-
bons ne sont pas en effet un mets a dedaigner. Les
ecailles se laissaient facilement detacher, et les chairs,
cuites dans leur jus, avaient un gout excellent. Quand
j'eus debarrasse de la maniere la plus consciencieuse
la pierre qui me servait d'assiette, je dis a. mon tour
kapai, et j'allairetrouver la patisserie de notre aimable
hdtesse qui ne put reprimer un malin sourire en appre-
nantmes peregrinations gastronomiques.
Quand la table fut enlevee, nous nous mimes en route
pour gravir la colline du Pavilion oumont Victoria. G'est
le point le plus eleve du North-Shore. Dans les temps
primitifs, le sommet du mont portait un pah de guerre,
et des fortifications de ce pah s'echelonnent sur la pente
des terrasses de dix a. quinze pieds; sur le cdte nord
de la colline, se trouve un fosse de vingt pieds de large
et d'une egale profondeur. La cime forme un plateau et
presente un cratere demi-circulaire ouvert au sud-est,
et sur lequel des courants de lave, formant une zone
pierreuse, ont coule jusqu'a la mer. La vue dont on
jouit du sommet est vraiment ravissante : on apercoit
tout le port de Waitemata, et au loin le golfe Hauraki
avec ses iles et ses caps, et la mer animee par des
voiles de toutes formes et de toutes tailles. Derriere la
montagne est paisiblement assis un grand village maori
appartenant a. une tribu qui a emigre" de la baie des
Iles, et qui depuis des annees paye volontairement a
l'Etat une livre sterling par arpent pour tirer du sol fer-
tile le mais, le froment, les pommes de terre et les le-
gumes destines au marche voisin d' Auckland. Grace a
leur activite , ces braves gens sont arrives a un certain
bien-etre. Sur le rivage on voyait leurs embarcations,
parmi lesquelles plusieurs canots de guerre decores a
l'avant et a. l'arriere de riches sculptures ; il s'y trou-
vait aussi plusieurs bateaux baleiniers.
280
LE TOUR DU MONDE.
La soiree nous trouva assis dans nos tentes et devi-
sant entre nous. Le murmure de la mer nous bercait
doucement, comme pour nous inviter au sommeil; mais
bien que nous fussions pourvus de couve'rtures de laine,
nous etions loin d'avoir toutes nos aises. Un vent vio-
lent s'etait eleve, et notre tente vacillait a, droite et a
gauche; un moment elle pirut sur le point de se ren-
verser. Gombien il nous eut ete facile de nous rendre
en une heure a. Auckland, dont nous apercevions leslu-
mieres, et de revenir ici le lendemain matin pour con-
tinuer nos excursions ! Mais notre ami nous avait comae's
a sa villegiature et nous etions obliges d'en savourer
toutes les joies.
Ill
L'isthme d' Auckland. — Volcans. — Indigenes.
L'isthme d'Auckland est une des contrees les plus vol-
caniques de la terre. II doit sa physionomie particuliere
Ma'utaera, chef zelandais des environs d'Auckland. — Dessin de fimile Bayard d'apres M. F. de Hochstetter.
a un grand nombre de cones eteints, ayant des crateres
plus ou moins bien conserves, des courants de lave qui
forment de vastes champs pierreux etendus a leurs
pieds, ou des crateres de tuf qui entourent circulaire-
ment comma un mur artificiel les cones d'eruption for-
mes de cendres et de scories. Ces cones sont repandus
irregulierement sur l'isthme et sur les rivages voisins
des ports de Waitemata et de Maunukau. La puissance
voicanique paralt s'etre fraye un nouveau passage pres-
que a, chaque eruption; elle s'est ainsi eparpillee en
un grand nombre de petites issues, tandis que si elle
s'etait maintenue dans le meme canal, elle aurait peut-
£tre forme un grand cone.
Les premieres eruptions ont ete probablement sous-
marines, dans une baie peu profonde, marecageuse et
peu agitee par le vent. Elles se composaient de masses
Balanjoire des guerriers n£o-zelandais. — Dessin de fimile Bayard d'apres sir Georges Grey,
282
LE TOUR DU MONDE.
ignees, de detritus de lave, de scories et de cendres
volcaniques. Elles se sont produites, sans aucun doute,
dans un grand nombre de secousses, se suivant rapide-
ment l'une l'autre, car, tout ce que Ton voit clairement,
c'estqueces masses eruptives se sont deposees par cou-
ches etagees l'une sur l'autre, tout autour du point d'e-
ruption, et qu' elles ont forme de faibles collines, s'e-
levant avecune surface unie, et ay ant toutes un cratere
plus ou moins arrondi au milieu. On nomme tuf volca-
nique la masse heterogene de ces premieres eruptions,
et Ton designe ces collines sous le nom de cones de tuf,
tant qu' elles ne renfernvnt pas de bassins arrondis ;
dans ce dernier cas , on les appelle crateres de tuf.
De nombreux specimens de ces deux formes volcani-
ques existent surl'isthme d' Auckland. Tant6t ces crateres
sont tres-profonds et remplis d'eau, comme le lac d'eau
douce de Pupaki, qui a une profondeur de vingt-huit
brasses, tant6t ils sont unis et sees, ou couverts seule-
ment de marais et de tourbieres. Quand ils en sont fort
rapproches, la mer s'est habituellement fraye un pas-
sage sur un des cotes, en brisant la ligne de circonval-
lation, et elle accomplit dans le cratere son mouvement
de flux et de reflux. Dans le cas ou plusieurs de ces
c6nes sont groupes ensemble , comme a Onchunga ou
dans les environs d'Otahuhu , il est souvent difficile de
distinguer les crateres isoles, car un espace oil confluent
plusieurs c6nes prend facilement la forme d'un seul
cratere.
Le r61e que, a raison de leur sol extremement fertile,
ces cones de tuf jouent dans le voisinage d' Auckland est
tres-remarquable. Presque sur chacun d'eux se trouve
]a maison ou la metairie d'un cultivateur. Le coup d'oeil
pratique des colons les a engages a se fixer le long de
ces crateres au sol fertile. On y voit des prairies et des
■ champs de trefles de la plus belle verdure, tandis que le
sol sterile des roches primitives ne produit que des
buissons de fougere et de manuka. Les environs d'On-
chunga et d'Otahuhu doivent a ces cones de tuf leur fer-
tility remarquable.
En meme temps que Taction volcanique par laquelle
les cdnes de tuf ont e'te formes, une elevation lente et
successive de l'isthme entier parait avoir eu lieu, en
sorte que les eruptions posterieures se sont produites
au-dessus de la mer. Dans cette seconde periode, Taction
volcanique est parvenue jusqu'a Teruption de masses
de scories incandescentes, de laves liquefiees par le feu,
et qui, en se condensant, ont pris la forme caracteris-
tique de poires ou de citrons, et sont retombees a. terre
comme des bombes volcaniques; etplus tard enfin cette
action a produit des courants de lave qui se sont repandus ■
au loin en fleuve incandescent. Alors les volcans d'Auck- i
land etaient des montagnes vomissant du feu , dans le |
senslitteral du mot; alors se sont formes leurs c6nes de !
scories s'elevant a. pic, et aux endroits oil des jets de j
lave frequemment repetds s'epanchaient du meme cra-
tere , se sont eleve's aussi des cdnes de lave comme le
Rangitoto.
Les cones de scories, bien qu'ils ne soient pas pro-
pres a, la culture , n'en ont pas moins d'importance au
point de vue pratique ; ils procurent une excellente ma-
tiere pour macadamiser les routes , et e'est a. ce maca-
dam de scories que Tithsme d' Auckland est redevable
de ses belles voies.
Un systeme volcanique complet se compose done de
trois parties : d'un cone de tuf s'elevant en plateau et
formant comme la base etle piedestal de toutl'ensemble;
d'un c6ne de lave plus escarpe qui est la masse princi-
pale de la montagne, et enfin d'un cone de cendres et de
scories qui, avec le cratere, forme le pic du volcan,
comme on le voit sur la gravure de la page 277.
Aujourd'hui, grace aux embellissements que les
colons europeens ont repandus sur les terres volcani-
ques, converties en veritables jardins, ces montagnes
rappellent moins des phenomenes geologiques depuis
longtemps evanouis que Thistoire d'une population
digne d'interet a tant de titres. Les sommets de ces co-
nes presentent des points devue ravissants, d'ou le
regard embrasse Tithsme tout entier d'une mer a. l'au-
tre, et je ne puis me defendre de considerer un moment
encore le tableau qui se presente a. mon souvenir.
Presque toutes les traces de Tetat inculte primitif
ont disparu sur Tithsme. L'ancienne vegetation a fait
place en grande partie a la culture de plantes europeen-
nes, et les mauvaises herbes qui les accompagnent tou-
jours, se melent aux restes de la flore indigene. Entre
les ports de Waitemata et de Manukau, de belles routes
coupent le sol dans toutes les directions. Des maisons
de campagne et des metairies sont repandues entre les
villes d Auckland et d'Onchunga, des murs noirs de
basalte et de vertes haies d'ulex separent entre elles les
proprietes, et Ton voit se deployer des prairies, des jar-
dins et des champs, partout oil la nature du terrain Ta
rendu possible. Les bestiaux paissent dans les campa-
gnes, les omnibus circulent sur les routes ; ici la fa-
mille d'un fermier s'avance dans un char a bancs, la,
passent au galop de rapides coursiers, des amazones et
des cavaliers ; tout presente Timage d'une vie heureuse
et pleine d' animation comme dans les contrees benies
du ciel de notre patrie.
Les lacs de forme ronde enfermes dans les anciens
crateres etincellent comme des miroirs encadres dans le
sol ; la mer penetre dans la terre par des baies et des
bras innombrables, comme si le sol et Teau n'avaient
pas encore trouve des limites determinees. Au nord, le
Rangitoto s'eleve majestueusement au milieu du Wai-
temata, et en face de lui, le c6ne de scories du rivage
septentrional. Des navires a. voiles entrent et sortent
par la passe, et des canots joutent entre eux dans le
port. Du cote oppose, oil derriere trois grands pics ai-
gus, la c6te occidentale s'ouvre pour donner acces a
l'Ocean dans le vaste bassin du port de Manukau, on
voit monter la longue colonne de fume'e du bateau a
vapeur qui portera nos lettres et nos souhaits a. nos
amis d'Europe. A la vue de toutes ces choses, comment
croire que Ton est dans la Nouvelle-Zelande ?
G'est seulement a Thorizon, vers Touest et le sud, sur
VOYAGE A LA NOUVELLE-ZELANDE.
283
de hautes chaines de montagnes oil s'etendent des om-
bres epaisses que Ton retrouve les forets inaccessibles ;
mais la fumee qui s'eleve prouve que la aussi il y a
deja des hommes ; ce sont les premiers colons qui
frayent le chemin aux races a venir. Au milieu de la
foret on voit une petite maison de bois, pauvre abri d'une
famille qui a franchi sur l'Ocean bien des milliers de
milles, pour se fonder une nouvelle patrie aux antipodes
de l'ancienne. Lc pere est dans la foret, un tronc apres
un autre tombe sous les coups de son bras vigoureux ; la
la mere prepare le repas du soir au foyer qui petille
joyeusement ; devant la porte jouent des enfants, au
milieu des chiens et des poules. G'est une rude exis-
tence que celle de ces pauvres pionniers ; ils menent
une vie pleine de fatigues et de privations ; ils n'ont
pres d'eux ni medecins, ni eglises, ni amis avec les-
quels ils puissent s'entretenir de l'ancienne patrie. Mais
aussi loin que leur vue peut s'etendre, tout autour d'eux
leur appartient, et d'ann^e en anrn^e, leur sort s'ame-
liore ; la recolte succede a la recolte, et a la place de la
cabane s'eleve une gracieuse villa, entouree de jardins
et de champs ; sur les prairies paissent de gras trou-
peaux ; dans le voisinage s'etablissent des amis, et de
jolies routes conduisent de ferme en ferme au milieu
des haies et des bois. Sur le chemin se dressent une
eglise, une auberge, et bientot s'ouvre la premiere bou-
tique ; oil tout a l'heure il n'y avait qu'une cabane, il y
a maintenant une localite, on ne peut pas l'appeler vil-
lage, ville encore moins, mais c'est un fragment de bourg.
Ge sont des citadins avec les besoins, les modes de la
ville, qui l'habitent; ils ont une poste et des gazettes,
des chevaux et des voitures, et leur existence est aussi
large que, dans leur ancienne patrie, celle des comtes
et des barons. Ainsi, sur le soir de la vie, les laborieux
pionniers jouissent pleinement des douceurs de l'exis-
tence ; leurs enfants s'etablissent dans la foret, le pere
et la mere leur ont donne l'exemple, et une nouvelle
race puissante prend sans relache possession du pays
oil autrefois des hommes d'une autre couleur, des sau-
vages suivaient aussi les mceurs et les usages de leurs
peres.
Gombien different est le sort de ces indigenes? Ils
avaient aussi emigre d'iles lointaines pour jouir dans un
nouveau pays d'une meilleure existence. Ils ont peut-
£tre aussi trouve dans ces lieux, pendant une longue
suite de generations, ce qu'ils esperaient. Mais leur
temps est passe, et leur genre de vie disparait au souf-
fle de la civilisation moderne.
L'ithsme d' Auckland &ait autrefois la residence d'une
puissante tribu de Maoris, le theatre d'occupations pa-
cifiques, la forteresse et l'arene d'une nation barbare ,
et pourtant bien douee, mais aussi le theatre des luttes
sanglantes de cannibales danslesquelles cette race a dis-
paru de la terre. Les Ngatitvatuas, qui habitaient ici,
comptaient, il y a peu de generations, de vingt a trente
mille ames, et ces cones eteints jouaient alors le role
de forteresses, comme les chateaux forts du moyen age
allemand. Avec leur situation dominante, et leurs vues
etendues, ces lieux etaient parfaitement appropri^s a
cette destination, et ils servaient de repaires a des chefs
oppresseurs et violents
Les sommets portaient des pahs retranches; c'est-a-
dire les places d'armes, villages fortifies des chefs, et a
la base des collines s'etendaient les demeures des serfs
avec les champs qu'ils devaient oultiver. On voit encore
aujourd'hui les ruines de ces habitations au pied des
hauteurs.
Les revers des montagnes sont, en quelque sorte, ta-
toues, comme les visages des anciens guerriers qui
ont survecu au cannibalisme. Ils sont terrasses, c'est-
a-dire qu' autour des pentes sont superposes des etages
de dix a. quinze pieds de haut, que Ton apercoit a. une
grande distance. Sur ces terrasses, on elevait un dou-
ble rang de palissades, et Ton creusait des fosses pro-
fonds, recouverts de branches de roseaux et de fouge-
res, comme les pieges a loup, pour y faire tomber les
assaillants. On s'etonne a. bon droit de l'habilete avec
laquelle les Maoris construisaient leurs fortifications,
et les travaux gigantesques qu'ils executaient avec les
instruments les plus elementaires et les plus defectueux,
avec des pelles de bois, des marteaux, des ciseaux et
des haches de pierre, et des couteaux en coquillage.
Derriere ces palissades et ces fosses, sur le sommet de
la montagne, habitait le chef avec sa famille et les no-
bles de la tribu.
La, pendant que les vieillards accroupis en cercle sous
leurs manteaux de phormium s'entretenaient de leurs
exploits ou des legendes de leurs a'ieux, la jeunesse du
clan se livrait a de nombreux jeux et passe-temps. Les
jeunes filles repetaient en chceur des chants apportes par
leurs peres de la terre d'Hava'i-ki, leur premiere patrie ;
les enfants faisaient Hotter dans les airs des cerfs-volants
formes de legers roseaux, et pendant que des adolescents
plongeaient dans les flots du haut d'un cap eleve en
chantant qnelque refrain my thologique , d'autres plus
vigoureux, ayant deja marche" sur le sentier de la guerre,
se livraient a un delassement encore plus dangereux, en
se balancant, soutenus par la seule force du poignet , a
l'extremite de cordages attaches au sommet d'un grand
mat ordinairement plante sur quelque precipice.
Aujourd'hui chants et jeux ont cesse; les fortifi-
cations sont rasees et les huttes sont detruites , les pa-
lissades ont disparu sans retour, le donjon maori
est en ruines, et de meme que le cratere semble etre la
cicatrice du combat de la terre embrasee, les terrasses
avec leurs fosses profonds, sont les cicatrices qui rap-
pellent les combats sanglants des peuplades indigenes.
D'une race autrefois si nombreuse et si puissante, il
reste a. peine quelques families qui habitent un petit
village sur la baie d'Orakei, a Test d'Auckland. Les
grottes de lave des Trois-Rois, du mont Smart et du
mont Wellington sont remplies des ossements des infor-
tunes qui ont trouve la mort dans les attaques meur-
trieres que le terrible Hongi, a la tete des guerriers du
nord de l'ile , a dirigees contre les tribus de la riviere
Tamise. Sur le mont Hobson, j'ai trouve encore dans
284
LE TOUR DU MONDE.
une pauvre hutte et a, moitie sous terre, une vieille
femme maori devenu folle , bannie d'apres la coutume
superstitieuse des siens , pour mourir solitaire en ces
lieux ou ont succombe tant de milliers d'6tres de sa race.
IV
Les forets de Kauris.
Le pilote du Manukau, le capitaine Wing m'avait
offert, pour parcourir le bassin du port, son excellent
canot, construit a Finstar de baleinieres ; il voulait lui-
meme nous servir de guide, et plusieurs amis avaient
consenti a m'accompagner. Nous nous embarquames a
la jetee d'Onchunga, le 18 Janvier. Cinq indigenes te-
naient les rames , le capitaine Wing etait au gouvernail,
nous longeames la cote nord, nous descendimes dans
une petite baie, sur la presqu'ile de Puponga, et nous
nous etendimes pour diner a l'ombre d'un magnifique
polulukaua (metrosideros tomenlosa) , dont le tronc me-
suraitvingt-quatrepieds de circonference . Dans Farriere-
plan de la baie s'elevaient des massifs de rochers aigus,
d'un aspect fort remarquable. Ge sont d'enormes blocs
de pierres volcaniques tres-variees, tantot en trachyte,
tant&t en basalte, anguleux et de toutes couleurs, rouges,
verts , bruns et noirs ; ils forment le commencement de
ces masses puissantes de detritus volcaniques qui, dans
une epaisseur de plus de mille pieds composent toute
la chaine de Titirangi, et depuis la cote nord du port de
Manukau jusqu'au port de Kaipara torment Fescarpe-
ment de la cote occidentale.
Le soir nous etablimes notre tente dans la baie Huia,
surle sable sec du rivage. La nuit fut sans sommeil, car
le soir, attires par la lumiere, des nuees de moustiques
pene"trerent jusqu'a nous, et nous firent cruellement
souffrir. Nous saluames le jour avec joie, l'air frais du
matin, l'eau pure d'une source, et une tasse de bon cafe
nous rendirent des forces, et nous continuames notre
chemin pour visiter les etablissements situes dans le
fond de la baie.
Je fus emerveille du caractere romantique qu'avait en
ce moment le paysage ; une nature sauvage et abrupte,
avec d'epaisses forets, des pics aigus, des pans de rocs
escarpes, des ravins tenebreux traverses par des ruis-
seaux et des rivieres ou coule l'eau la plus limpide. De
hardis colons ont choisi cette contree pittoresque pour y
etablir des scieries , exploitant les forets qui produisent
en abondance le gigantesque pin Kauri (dammara au-
stralis) , dont le bois est excellent; les ruisseaux et les
rivieres portent aux usines leur force hydraulique , et
servent en meme temps au flottage du bois.
G'est avec raison que Ton nomme le sapin Kauri le
roi des forets de la Nouvelle-Zelande. Ge qu'etait pour
l'Asie Mineure le renomme cedre du Liban qui four-
nissait autrefois la membrure des vaisseaux pheniciens
et la charpente du temple de Salomon, ce qu'est aujour-
d'bui pour la Californie le gigantesque sequoia mam-
mouth, le pin Kauri Test pour la Nouvelle-Zelande.
Depuis l'origine de la colonisation, les forets de Kau-
ris sont une source de richesse pour les emigrants euro-
pe"ens. Elles fournissent les espars et les mats les meil-
leurs, un excellent bois de construction; etla.resine du
Kauri est un article de commerce tres-recherche. Parmi
les produits indigenes de la Nouvelle-Zelande, il n'en
est point dont l'exportation soit plus considerable.
Deux conditions principales paraissent etre indispen-
sables a la vie de l'arbre : Fair humide de la mer et un
terrain argileux et sec. Elles se trouvent parfaitement
re"unies sur la petite peninsule septentrionale.
Le Kauri ne croit pas isole ; et pousse par groupes et
a, des endroits proteges du vent. Ges groupes donnent
a la foret sa physionomie caracteristique. Quand d'une
colline ou d'une montagne on apergoit une foret, on re-
connait a leur teinte d'un vert fonce , les groupes de
Kauris. Leurs couronnes dominent au loin les autres
arbres et forment des ombres epaisses sur les pentes
des montagnes et dans les vallees. Ca, et la se ddtachent
sur ce fond le vert tendre des fougeres arborescentes ,
qui poussent avec vigueur aux endroits oil jaillissent les
sources.
Ges groupes de Kauris ont une etendue tres-variable ;
souvent ils occupent plusieurs milles carres, souvent ils
ne se composent que de trente a quarante arbres qui ,
se trouvant ainsi en socie'te', et se protegeant les uns les
autres, reussissent admirablement. Mais si Fon abat
la foret, et si on ne laisse debout que quelques arbres ,
ils ne tardent pas a mourir. Vainement les colons ont
cherche dans les larges espaces qu'ils conquierent sur
la foret pour Fagriculture et l'eleve des bestiaux, a.
conserver quelques beaux arbres pour la decoration du
paysage et Fornement de leurs fermes, le fils de la foret
humide et ombreuse languit aussitot qu'il est expose" au
vent et au soleil, et les tentatives que Part a faites jus-
qu'a present pour le planter et le cultiver, n'ont pas
reussi davantage.
Cette particularite du pin Kauri de ne croitre qu'en
groupes et en societe fait aussi que les arbres d'un
mgme groupe ou d'une partie de foret sont habituelle-
ment du meme age. II y a done des bouquets de sapins
de deux cents, quatre cents et cinq cents annees, et
l'impression grandiose que produit une foret Kauri tient
essentiellement a. ce qu'elle est formee comme d'un seul
jet, qu'une colonne vegetale s'eleve a cote d'une autre
de mgme epaisseur et de meme hauteur, ainsi que les
portiques d'un palais. Dans ces massifs, le Kauri ne
souffre a cote de lui aucun autre grand arbre ; peu d'ar-
bustes meme croissent sous son ombrage.
Les jeunes sapins ont un aspect tout different de celui
des anciens; ils ressemblent davantage a. nos sapins
rouges ; dans la vieillesse , ils rappellent le sapin blanc.
Les sujets de soixante a cent ans portent une couronne
en cone aigu ; le tronc s'elance perpendiculairement de
la racine au sommet. En avangant en age, les branches
laterales se fortifient et produisent, par des bifurcations
multipliees , une couronne en forme de tente. Mais le
tronc, parfaitement cylindrique, dresse sous le d6me de
verdure sa majestueuse colonne, dont les belles pro-
portions ne sont pas alterees, comme dans les autres
Foret de Kauris. — Dessin de Lancelot d'apres M. F. de Hocbstetter.
LE TOUR DU MONDE.
arbres, par les branches laterales ou les plantes para-
sites. L'ceil peut suivre sans obstacle les lignes pures du
tronc depuis le has jusqu'en haut, a l'endroit oil les
branches vigoureuses forment, en s'entrelacant , une
epaisse voute d'un vert sombre , a, travers laquelle la
lumiere du soleil rayonne comme des etoiles d'or dans
le demi-jour de laforet. Dans les troncs de quatre pieds
de diametre 1'ecorce a un pouce et demi d'epaisseur,
et elle se detache comme celle de nos pins. L'epoque de
la floraison arrive en decembre; les cdnes sont relati-
vement tres-petits ; leurs dimensions n'atteignent mfime
pas celles de nos sapins, et ils se separent facilement
quand ils sont sees. A l'epoque de leur maturite, a la
fin de fevrier, les forets de Kauris sont visitees par
un grand nombre d'oiseaux qui mangent les graines.
Les arbres les plus ag^s et les plus gros atteignent
un diametre de cinq metres et une circonfe"rence de
quinze ; ils ont une hauteur de trente-trois metres jus-
qu'aux branches les plus inferieures, et de cinquante
a soixante jusqu'a la cime. Ges arbres peuvent vivre
sept a huit siecles. J'ai cite leur refine comme un article
de commerce deja fort recherche. Quand elle exsude de
l'arbre, elle est d'un blanc laiteux tirant sur l'opale ; avec
le temps, elle se solidifie, devient plus ou moins trans-
parente, et prend habituellement une belle teinte jaune
d'ambre. Les branches et les rameaux des sapins etin-
cellent des blanches gouttes de resine, mais e'est sur-
tout dans la partie inferieure du tronc, au col de la
racine que Ton en recueille les quantites les plus con-
siderables. Aussi est-ce dans les couches superieures du
terrain oil s'etendaient autrefois des forets de Kauri,
qu'on trouve la resine en grande abondance. II n'est pas
rare d'en rencontrer des morceaux qui pesent plus de
cent livres.
L'exploitation de ces arbres a change, sur beaucoup
de points, Faspect du pays. Dans les baies et dans
les criques ecartees, qui n'etaient jadis visitees que par
les canots du sauvage, circulent aujourd'hui des em-
barcations de toutes sortes. De grandes scieries, con-
struites d'apres les meilleurs precedes , s'elevent sur les
bords de ces baies et de ces criques. Dans les sombres
forets, dans les ravins, sur la montagne et dans la vallee
oil regnait jadis un silence de mort, on entend crier la
scie et resonner la hache. Des hommes dont les nerfs
et les muscles ont recu une trempe vigoureuse dans les
forets de la Galifornie et du Canada, des Ecossais et des
Irlandais, et ca et la aussi un pauvre Allemand, pour-
suivi par les rigueurs du sort, tels sont les combattants
qui se mesurent avec le geant de la foret. Le soir, on
voit s'elever joyeusement au-dessus de leur foyer des
colonnes de fumee, et mainte histoire terrible se ra-
conte, quand, a l'heure du repos, la pipe est allumee et
que le verre de gin passe de main en main.
Voyage au Wa'ikato.
Mon voyage dans l'interieur de Tile du nord n'est,
si on le considere par rapport a la longueur du chemin
parcouru (environ 700 milles anglais ou 140 milles alle-
mands), qu'une courte excursion; et cependant, quand
je fus heureusement revenu a Auckland, il me semblait
que le voyage etait incomparablement plus grand, et
qu'il l'emportait meme en difficultes sur celui que j'avais
accompli dans les cinq parties du monde, en traversant
28 000 milles marins : la difference depend uniquement
de la maniere et des conditions dans lesquelles le voyage
s'execute.
Dans les pays europeens, ou des chemins de fer, des
bateaux a. vapeur et d'excellents h6tels sont a la disposi-
tion du voyageur, ou des guides l'informent de tout, ou
detours et sentiers conduisent partout, et oil Ton se pro-
cure tout avec de l'argent, chacun peut, d'apres ses res-
sources et le but qu'il se propose, voyager comme il lui
convient ; mais dans la Nouvelle-Zelande, il n'est ques-
tion de rien de tout cela : les routes sur lesquelles on
peut circuler conduisent, jusqu'a present, a quelques
milles seulement des villes situees pres de la cote; de
plus, il ne faut pas songer a se servir du cheval, au
moins pour les longs voyages. Dans beaucoup de con-
trees, non-seulement on manquerait du fourrage neces-
saire, mais les difficultes du terrain sont telles, que loin
de lui etre utile, l'animal serait plutdt un embarras pour
le voyageur. Presque tous les jours, il faut traverser de
rapides ruisseaux, des montagnes, des rivieres aux bords
escarpes, des fondrieres et des marais. Les petits sen-
tiers des indigenes conduisent rarement dans les valle'es,
et presque toujours sur les sommets des montagnes.
Quand ils traversent les interminables forets qui cou-
vrent encore l'interieur du pays, ils sont tellement
etroits qu'un homme a de la peine a s'y frayer un pas-
sage. Un ceil habitue aux chemins des forets et des mon-
tagnes d'Europe peut a peine reconnaitre ces sentiers
maoris ; cheval et cavalier y courraient le danger con-
tinuel de tomber dans les trous profonds que laissent
entre elles les racines des arbres, et d'etre etouffes dans
les anneaux de la liane qui porte le nom de supple-jacks.
II ne reste done d'autre moyen que de voyager a pied, et
il faut une vigueurinepuisable, une sante" atoute dpreuve,
pour resister aux fatigues inseparables de longues excur-
sions a travers des contrees sauvages, par des chemins
mal frayes, au milieu de forets humides, de marecages et
des eaux glacees des montagnes. Tout ce dont le voya-
geur a besoin, il doit le porter avec lui, et, par cela
meme, se borner au necessaire. II se peut bien que, ca.
et la, chez un colon isole ou sous le toit hospitalier du
missionnaire, il jouisse en passant du comfort et des su-
perfluites de la vie civilisee, mais, en general, il faut
qu'il y renonce et mette son plaisir a. vivre a l'air libre,
avec le ciel pour tente et la terre pour table, a revenir
enfin aux moeurs primitives et aux simples besoins de
l'homme de la nature. Mais e'est en cela meme que se
trouvent l'originalite et le charme indescriptible d'un
voyage dans la Nouvelle-Zelande.
Les indigenes, du reste, sont les meilleurs compa-
gnons de voyage que Ton puisse rencontrer. J'avais
engage comme porteurs, pour toute la duree de nos
VOYAG-E A LA NOUVELLE-ZELANDE.
287
excursions, douze jeunes et vigoureux Maoris, a. raison
de deux schellings et demi par jour et par personne.
Quant a. la securite, je ne connais pas de pays sau-
vage oil Ton coure moins de dangers; les voleurs et
les brigands y sont aussi peu connus que les betes fe-
roces et les serpents venimeux; etcomme la nature, qui
n'a ici produit aucune plante veneneuse, aucun animal
dangereux, se montre bienfaisante dans toutes ses crea-
tions, l'indigene est aussi toujours bienveillant, quand
la guerre ni la vengeance ne dechainent pas ses passions
sauvages.
Les seuls fleaux a, redouter sont les moustiques et les
mouches de sable ; les premiers, que les naturels nom-
ment Waeroa, ne sont autre chose que nos cousins
(culex) qui fourmillent dans les forets, mais qui evitent
les c6tes de la mer et les landes arides des fougeres.
Dans les mois d'ete, de decembre a fevrier, on ne peut
s'en preserver ni jour ni nuit, mais en mars, ils devien-
nent plus rares, et disparaissent completement en hiver.
Les mouches de sable, au contraire, ngamu des indige-
nes, se trouvent en plus grand nombre sur les c6tes de
la mer, mais on en voit aussi dans l'interieur du pays,
sur les rives sablonneuses des fleuves et dans les lan-
des. Juste au moment oil Ton est delivre des mousti-
ques, vient le tour des mouches de sable, dont la piqure
est plus sensible, mais ne cause aucun gonflement. Comme
ces insectes disparaissent avec les derniers rayons du
soleil, la nuit au moins serait tranquille, si on n'avait
pas alors a recevoir la visite de nouveaux hfites fort peu
agreables; ce sont les rats que Ton rencontre meme dans
les lieux completement inhabites, et qui se rassemblent
en foule autour du campement. On s'habitue bientot a.
les sentir courir sur son corps et sur sa tfite, mais il
faut avoir grand soin de suspendre a. des batons les pro-
visions de bouche, pour les mettre a. l'abri de leur vo-
racite.
Si dans ces lies la nature est peu liberale pour l'ali-
mentation, par contre elle offre pour le bien-etre du
voyageur deux choses que Ton apprend a, apprecier a. un
haut degre, quand apres une excursion dans la Nou-
velle-Zelande, on voyage dans un autre pays qui en est
depourvu. C'est d'abord la fougere, pteris esculenta, qui
est repandue partout, et qui sert de couche pour le repos
de la nuit. Preparee convenablement, elle est aussi elas-
tique et aussi douce que le meilleur lit de plumes. En-
suite vient le lin du pays, le phormium teuax, qui peut
remplacer dans tous leurs usages les iicelles, les cordes
et les courroies. Quand il faut Her chaque jour une dou-
zaine de paquets, cette plante, que Ton a toujours sous
la main, est d'un avantage inappreciable. Enfin, la dou-
ceur du climat et l'abondance de l'eau et du bois dans
tout le pays, facilitent singulierement le voyage. On n'a
a souffrir ni du chaud ni du froid ; et les fievres de ma-
recages y sont completement inconnues.
Je ne perdrai jamais le souvenir de ces moments oil,
apres la fatigue et le travail du jour, nous nous repo-
sions sur le bord d'une foret, pres d'une source au doux
murmure ; reunis autour d'un feu clair et petillant, les
indigenes commenfaient leurs chants du soir ; puis tout
devenait paisible jusqu'au point du jour, oil les oiseaux
de la foret, le Kokorimoko et le Tui, faisaient entendre
leurs chansons matinales. Quand je me retrace ces
scenes, nos traversers sur les canots des indigenes,
nos haltes dans les pahs, et nos excursions au milieu
des sombres forets, inconnues dans notre hemisphere,
j'eprouve un profond sentiment de joie, tant les jouis-
sances que nous donne la nature l'emportent sur toutes
celles de la vie civilisee.
Nous nous mimes en route le 7 mars en suivant la
Great south road et nous arrivames le lendemain au vil-
lage maori de Mangatawhiri, sur le fleuve Waikato, que
nous devions remonter au moyen d'un canot. Pour at-
teindre ce beau cours d'eau , on monte d'abord sur un
plateau boise qui le separe du havre Manukau du Wai-
kato. Pres de petits ruisseaux qui traversent ce plateau,
on rencontre les dernieres metairies, puis, on penetre
de plus en plus dans la nature sauvage. Des dernieres
hauteurs qui precedent Mangatawhiri, on a un coup
d'ceil ravissant sur le Waikato. La route avait ete tout
recemment percee, et les arbres qui venaient d'etre
abattus etaient encore couches en travers sur le chemin ;
nous sourimes de bon cceur de la saillie d'un buche-
ron qui avait charbonne sur un tronc gigantesque barrant
tout le passage : « vingt-deux milles de Londres. »
Le village de Mangatawhiri se compose d' environ
vingt huttes avec une centaine d'habitants qui jouissent
d'une certaine aisance. A l'aide d'un Anglais, ils ont
meme fait construire, sur un petit ruisseau coulant pres
du village, un joli moulin qui n'a pas coute moins de qua-
tre cents livres sterling. Le sol volcanique des environs
est extremement fertile, et il ne manque ici ni de che-
vaux, ni de bestiaux, ni de pores. Aussi ne nous atten-
dions-nous pas a l'horrible malproprete qui regne dans
les huttes maories ; plusieurs etaient vides , nous vou-
lumes en choisir une pour y passer la nuit, mais elles
etaient pleines de vermine. Enfin nous nous resolumes
a en occuper une, apres 1' avoir fait nettoyer avec soin.
Toutefois, ce que nous eumes a. souffrir pendant la nuit,
malgre le nettoyage de l'etable d'Augias, je le passerai
sous silence. Ge fut pour moi une bonne lecon pour
ne jamais preferer a l'avenir une hutte maorie a. ma
tente.
Pour feter notre presence, les femmes et les jeunes
filles s'etaient parees de leur mieux, et avaient mis leurs
plus belles toilettes. Dans le nombre, quelques-unes
etaient tres-jolies de taille et de visage. Mais il regne
parmi cette population feminine une coutume fort sin-
guliere : les petits cochons de lait sont pres d' elles en
grande faveur ; elles les choient et les caressent en les
serrant sur leur sein avec autant de tendresse que nos
dames en ont pour leurs petits chiens favoris. Je ne
m'attendais guere a retrouver aux antipodes une manie
de nos a'ieules du quinzieme siecle.
A peu de distance du village maori se trouve la petite
localite europeenne d'Havelock qui, jusqu'a. present, ne
comprend que deux maisons. Les indigenes conside-
288
LE TOUR DU MONDE.
rent cet etabhssement comme la limite meridionale ex-
treme ou les Pakehas ont ie droit de s'avancer : « Jus-
qu'ici et pas plus loin, » disent-ils. Us mettent une
obstination invincible a empecher le prolongement de la
Great south road, et pendant Finsurrection de Taranaki
en 1861, William Thomson, le chef des tribus Waikato
declara que , si le gouvernement faisait avancer ses
troupes au dela de Mangatawhiri , ou s'll continuait la
construction de la route sous la protection de la force
armee , ce serait la un cas de guerre qui entrainerait
l'ouverture des hostilites L'importance attaehee a la
possession de cette place s'explique par le developpe-
ment qu'elle pourra acquerir quand le Waikato sera
ouvert au commerce europeen.
Le 9 mars, au point du jour, le ruisseau de Manga-
tawhiri nous offrit un bain rafraichissant, mais nous ne
nous mimes en route qu'a neuf heures. Le canot avait
ete creuse recemment dans le tronc d'un sapin kahikatea;
long de soixante pieds anglais, large de quatre, profond
de trois, il etait assez grand pour recevoir toute notre
troupe (vingt-quatre personnes) avec nos nombreux ba-
gages. Quand on l'eut nettoye et qu'on eut etendu dans
f.OUMS £0£££,
Confluent du Rangirite et du Waikato.
le fond une couche de fuugere fraiche, les Maoris s'as-
sirent a l'avant, chacun pourvu de sa rame, et dans le
milieu les cinq Pakehas ou Europeens. Quatre femmcs
indigenes, avec deux enfants, se pressaient derriere
nous; elles allaient au-devant de leurs maris qu'elles
esperaient rencontrer sur le Waikato.
L'impression que produit la vue de ce fleuve majes-
tueux est grandiose; je ne puis le comparer qu'au Hhin
et au Danube; il est incontestablementle principal fleuve
de Tile septentrionale , il l'emporte sur tous les autres
auiant par la longueur de son cours que par le volume
de ses eaux. La pierre ponce que le courant entraine
continuellement et entasse sur les rives et a l'embou-
chure , annonce qu'il a sa source dans le voisinage de
l'important groupe volcanique du centre de Tile. Ses
sources se trouvent dans le coeur du pays, ses eaux bai-
gnent les champs les plus favorises et les plus beaux
peuples paries tribus indigenes les pius nombreuses et
les plus puissantes, auxquelles il a donne son nom. G'est
bien la grande artere de l'ile du nord, et il ne manque
absolument a ce grand fleuve qu'une embouchure libre
et accessible.
Traduit par E. JOUVEAU.
( La suite a la prochaine livraison.)